Je vous présente Alcazi, mon deuxième cheval, c’est un oldenbourg de 17 ans.
Acheté il y a 8 ans, Alcazi n’était le genre de cheval que je recherchais lorsque je l’ai rencontré, il était rétif, il amblait au pas sans cavalier, il ne tenait pas un cercle au galop à la longe, une bouche muette et pleine de résistance, un dos très souple et un rein aussi long que ce dernier. Seul son trot brillait par son rebond et son élégance. Son caractère paraissait nonchalant, calme, mais cachait une grande anxiété.
Ce qui m’a convaincu chez lui, c’est son œil gauche, bordé de blanc, qui lui donne une expression profonde, presque humaine…
Cet œil, je le nomme l’œil du cyclope, c’est celui qui vous rappelle à l’ordre, qui vous dit si ce que vous avez fait aujourd’hui est juste ou pas, si votre attitude est inconvenante, si quelqu’un lui plait ou lui déplaît…
Alcazi, c’était le calme avant la tempête, la personne qui me l’a vendu m’avait dit qu’il n’avait fait que de la balade… Tiens, tiens, c’était donc à cause de cela qu’il virait tout le monde à la moindre contrariété, c’est également à cause de cela qu’il devenait en nage lorsqu’il voyait des barres d’obstacle?
Et qu’il armait le dos durant quelques minutes malgré le travail à la longe et les étirements préalablement exécutés avant chaque séance?
J’adore les arguments ahurissants que sont capables de donner les vendeurs de chevaux!!! Même si je n’ai jamais cru à cette histoire, car c’est bien le cheval et lui seul qui est à même de vous la raconter!
En ce qui concerne notre dialogue, seule ma respiration avait l’impact de le décontracter, seule ma confiance pouvait le convaincre. Mais il m’a fallu du temps, beaucoup de temps, pour gagner cette confiance permanente, car la moindre tension ou contrariété était un retour en arrière directif et ce, durant plusieurs jours, voir, plusieurs mois…
J’ai passé de nombreuses nuits blanches, à réfléchir, me remettre en question, à parfois désespérer de n’être pas capable de dresser correctement ce cheval, à me questionner sur la façon dont je lui transmettais mes intentions, à décortiquer les livres des grands maîtres pour savoir ce qu’ils faisaient dans ce cas de figure, ce qui n’était pas très encourageant pour autant, car comme le dit si bien La Guerinière, « celui qui a les reins trop longs ne galope pas si bien, les forces étant désunies, ce qui l’empêche de se rassembler. »
Ou bien Hemphling qui explique que » le problème essentiel du danseur (Alcazi) est qu’on surestime ses capacités physiques et qu’on sous-estime sa sensibilité. Ainsi ce cheval peut être facilement brisé physiquement et psychiquement ».
Ce qu’il était…
J’ai donc travaillé en liberté, pour établir un dialogue, des interactions, ce qui lui plaisait beaucoup, à partir du moment où je le laisser s’exprimer librement durant au moins 10 à 15 mn.
Pendant ce temps là, j’avais le droit à un spectacle à moi toute seule, des trots spectaculaires, des galops très rapides et peu élégants mais d’une telle souplesse et maniabilité qu’il s’en sortait toujours par une pirouette. Il tombait quelquefois, se relevant un peu vexé, l’air de rien, repartant dans son trot volant que lui ont transmis ses origines Trakhnener…
C’est grâce à ces moments là que j’ai compris comment communiquer avec lui, j’ai découvert son extrême sensibilité caché derrière sa nonchalance, car j’ai toujours eu l’habitude de rééduquer des chevaux très expressifs, colériques, violents, mais pour le coup, faciles à comprendre!
Alcazi, lui, m’a appris à lire des expressions plus fines, des froncements de naseaux, l’expression de ses yeux, la façon de se tendre, tout à toujours un sens, faut-il pouvoir le traduire et répondre en conséquence…
J’ai choisi de faire une grande partie de ma formation d’instructeur avec lui, c’est aussi avec lui que j’ai validé mon instructorat de l’école de légèreté, et c’est aussi avec lui que je continue ma formation en stage de perfectionnement en alternance avec mes autres chevaux. Philippe Karl m’a beaucoup aidé dans ce travail, il a toujours validé et encouragé mes propres recherches, même lorsqu’elles étaient parfois divergentes de son enseignement. Ce qui confirme pour moi que son attitude est celle d’un grand homme de cheval en plus d’être celle d’un excellent enseignant…
Rassembler ce cheval n’a pas été simple, contrairement à un cheval court et expressif, comme les pur-sangs, les lusitaniens ou autres chevaux construits pour cette qualité.
Mais les résultats sont là, son piaffer est dynamique, rythmé et bien diagonalisé, il manque encore d’élévation, mais il a de la force et beaucoup d’expression.
Le galop se rassemble bien mieux grâce à cet acquis du piaffer, son encolure en col de cygne s’oriente davantage comme un arc, même s’il reste encore beaucoup de travail pour que son passage est la même force que son piaffer. Et surtout, surtout… Il possède à présent une bouche expressive, et ça, c’est une grande récompense à mes yeux!
Le pas d’école se concrétise tranquillement, mais rien ne doit durer dans les demandes car Alcazi peut se lasser très rapidement et ne plus rien donner, mais contrairement au passé, je peux dorénavant revenir au calme et la décontraction même si une contrariété est intervenue. Nous abordons les changements de pieds, tranquillement, car ce n’est pas chose facile à comprendre pour lui.
Son exigence m’a permis d’avancer énormément sur ma position, sur la précisions des aides, sur l’intention, sur le travail de la respiration profonde, de la conscience de soi, sur un état d’esprit réellement disponible pour communiquer avec son cheval.
Chaque séance est devenu un émerveillement, je me réjouie de pouvoir apprendre encore quelque chose de nouveau chaque jour travaillé avec lui, car le dialogue est tel qu’il remet le doigt (ou le sabot) sur ce que je dois encore perfectionner en moi, notamment l’absence absolue du vouloir et du devoir…
La grande nouveauté est qu’il devient un très bon cheval d’école, que je laisse de plus en plus à de bons élèves, pour qu’il puisse transmettre des sensations justes, et je le voie fier et studieux, de jouer ce nouveau rôle dans lequel il participe entièrement.
En résumé, il n’est pas le seul cheval à m’apprendre et à me faire avancer, bien sûr, mais une relation véritable est longue à construire, comme avec un humain, c’est dans la durée que l’on apprend à se connaître, c’est à travers le quotidien qu’on échafaude une histoire commune, les chevaux ne nous jugent jamais, ils nous acceptent tel que nous sommes, ils nous demandent juste d’être disponible lorsque nous travaillons avec eux,
En laissant de côté nos émotions de l’instant, pour se consacrer entièrement à ce que nous désirons établir avec eux… Je me disais, à moi-même, ainsi qu’à mes élèves, que le jour où je serais dresser correctement ce cheval, j’aurai fait un grand pas en avant.
Et bien ce pas là est arrivé, et je commence avec grande joie le chemin du prochain, car nous avons encore de nombreux pas à faire ensemble, sur ce merveilleux parcours de vie qu’est l’art équestre!
Gina Pitti, à Montoison, Le 28/04/2016